Inondations : La part de la mauvaise gouvernance des territoires

La saison automnale arrive en « trombe » dans plusieurs régions du pays, entraînant des inondations où se mêlent les eaux de pluie, les eaux issues de réseaux d’AEP endommagés, des eaux usées, des ordures ménagères, des gravats et de la boue.

Une étrange « mixture » qui cause des dégâts aussi bien sur les infrastructures publiques, les maisons et les champs agricoles, que sur les être humains. Les conséquences des inondations de l’automne 2015 ne se sont pas encore estompées, que d’autres catastrophes surprennent les Algériens à Laghouat, Tiaret, Tamanrasset, Khenchela et d’autres lieux qui, en toute évidence, sont mal préparés à des phénomènes pourtant bien connus dans le cycle climatique de la région méditerranéenne.

Mieux encore, la culture populaire appelle algérienne ses pluies de fin d’été et de début de printemps : « nettoyeuses des aires de battage » (sallahat enouadar), par lesquelles sont déclarées closes les moissons-battages.

Une grande partie des villes algériennes sont, en effet, mal préparées à subir les changements induits par l’équinoxe d’automne. Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales s’est fait un point d’honneur d’alerter chaque année, par des instructions écrites en pleine canicule de juillet, les autorités locales et les élus, sur les travaux de nettoyage auxquels il faut procéder afin que les orages passent sans grands dégâts : dégagement des fossés et caniveaux, nettoyage autour des édifices publics (écoles, hôpitaux,…), enlèvement des ordures et déchets qui pourraient empêcher la circulation des eaux etc.

Mais, on sait ce qu’est devenu le cadre de vie algérien avec un maillage en règle, de l’ensemble du territoire, par des décharges sauvages, contenant de la matière organique, des métaux, du verre, du bois, du plastique (bouteilles et sachets), du papier, parfois des médicaments et des produits pharmaceutiques etc.

Jamais l’espace algérien, aussi bien urbain que rural, n’a subi une chute aux enfers aussi fatale. A cela, s’est ajouté un déboisement quasi général sur les bords des routes, sur les berges des cours d’eau et sur les falaises de certaines grandes voies de desserte (à l’image de la RN1, au niveau de la Chiffa, entre El Hamdania et Médéa), phénomène dû en grande partie aux incendies de forêts.

La dénudation des sols par l’enlèvement de la végétation ligneuse est la première raison du transport des matériaux solides par les eaux qui déboulent d’un bassin versant. Une partie des victimes des inondations de Bab El Oued, le 10 novembre 2001, ont été retrouvées, plusieurs jours après, enveloppées dans la boue. Cette dernière avait, entre-temps séché, donnant l’impression que les personnes ainsi piégées étaient moulées dans la terre glaise.

La leçon de Ghardaïa

Le phénomène se répétera plusieurs fois depuis cette tragédie. Le 2 octobre 2008, en plein Aïd el fitr, Ghardaïa connaîtra un déluge inédit dans les annales de la région. On compta près d’une centaine de morts et des milliers de sans-abris. C’est depuis cette catastrophe que l’administration algérienne a décidé de réaliser des ouvrages de protection contre les inondations des villes les plus exposées aux vulnérables.

Dans le cadre de la préparation du dernier plan quinquennal, aujourd’hui perturbé par la crise financière, on évalua les besoins en ouvrages de protection des villes contre les inondations à quelque 260 milliards de dinars. Cette enveloppe financière est destinée au financement de 700 projets identifiés par le ministère des Ressources. Lors de la mise en œuvre du plan quinquennal précédent, l’Etat a mobilisé 50 milliards de dinars pour des travaux de même nature.

Les villes concernées par ces opérations sont celles dont la topographie se prête à une accumulation des eaux et des boues dans les rues et les quartiers. Ahcène Aït Amara, directeur de l’assainissement et de la protection de l’environnement au ministère des Ressources en eau, a indiqué, lors de la présentation de ces projets de protection des zones urbaines, que les actions de curage et d’entretien des canalisations ne sont pas suffisantes malgré les investissements consentis pour construire divers ouvrages. A la même occasion, il a expliqué que la capitale a pu être épargnée d’une catastrophe lors des grandes pluies de mai 2013 grâce aux ouvrages réalisés par le ministère des Ressources en eau.

Intervention multisectorielle

Cependant, par-delà les dispositifs conçus et réalisés par ce département ministériel, la grande question des entretiens des ouvrages urbains demeure posée. Le directeur central au ministère des Ressources en eau estime que c’est là une mission qui requiert une intervention multisectorielle, dont le principal maillon demeure les collectivités locales. C’est pourquoi, le ministère de l’Intérieur avise en premier lieu les collectivités locales et leur transmet les orientations et directives nécessaires bien avant la saison de pluies.

La récurrence avec laquelle surviennent de plus en plus les inondations et les éboulements de terrain suite aux averses d’automne, commande d’aller vers une réflexion profonde qui exclut la navigation à vue, l’approximation ou la fuite en avant. On a même eu des explications un peu trop « faciles » par lesquelles ont a tenté de se dérober à ses responsabilités, consistant à avancer, sans coup férir, l’argument des changements climatiques, concept dont on n’arrive pas encore à cerner ni la nature ni la dimension, le tout étant encore soumis aux avancées de la recherche scientifique.

Anarchie urbanistique

L’ancienne organisation sociale algérienne -en matière de construction de maisons et d’aménagement des cités et villages, et sur le plan de l’activité agricole- avait su s’adapter, au mieux, aux données de la nature, d’autant plus que cette dernière était loin d’être agressée comme elle l’est aujourd’hui avec l’urbanisation anarchique et les déboisements des versants et flancs de montagne. La gestion urbaine demeure an Algérie un point d’achoppement de toutes les politiques menées depuis l’Indépendance.

En dehors des centres-villes hérités de l’administration coloniale, la plupart des extensions sont frappées par des visions anarchiques, où parfois l’empreinte de l’autorité de l’Etat est absente. Il en est ainsi de ces villas alignées sur des kilomètres, collés les unes aux autres, fermant tout passage aux eaux pluviales. Le seul boulevard central devient le réceptacle de toutes les eaux avançant en furie, emportant tout sur  leur passage.

De même, la catastrophe historique de la vallée du M’zab a été, en grande partie, la conséquence de la violation de l’esprit d’organisation millénaire de la cité mozabite.

Alors que l’ancienne pentapole est connue pour son architecture -qui a même inspiré des spécialistes étrangers- et par son urbanisme qui a fait le bonheur et la fierté de cette cité du Sahara septentrional, elle sera malmenée, particulièrement au cours des années 1990, par tous les errements de la politique d’aménagement du pays où les constructions anarchiques sont devenues la règle. Les lieux les moins adaptés, déclarés non constructibles (non ædificandi, selon la terminologie juridique) ont été sollicités et investis par des personnes souvent étrangères à la région pour y construire des habitations, des garages et, parfois, des taudis.

Le désordre urbanistique et d’aménagement des villes, n’a pas eu pour seule conséquence l’exposition aux risques d’inondation ; il a également fragilisé, à l’excès, les villes face aux risques sismiques. La leçon de Boumerdès -anarchie urbanistique et d’aménagement, fraude sur la qualité et le dosage des matériaux de construction- est là pour être méditée profondément. D’ailleurs, les dégâts ne se limitent pas au bâti des villes et villages ; ils affectent également les ouvrages de travaux publics (ponts, viaducs, ponceaux,…) et les voies de chemins de fer.

Prévention et intervention

Immanquablement, l’Algérie s’expose de plus en plus aux risques naturels de grande intensité. Elle a eu son lot de mésaventures censées édifier suffisamment les gestionnaires de l’économie et des territoires quant aux meilleures voies à suivre dans la mobilisation des moyens qui assurent d’abord la prévention : respect des schémas d’urbanisme et d’architecture ; protection de l’environnement en général, à commencer par les zones boisées dans les versants de montagne ; organisation optimale des services publics au niveau des collectivités locales pour assurer l’hygiène et la propreté des rues, quartiers et boulevards ; préparation de la saison automnale par tous les travaux de nettoyage des caniveaux, fossés, voies d’écoulement des eaux,…etc.

L’étape de l’intervention, si le danger survient malgré toutes les précautions prises, est également importante. Par l’organisation rigoureuse des secours, dans le temps et dans l’espace, des vies peuvent être sauvées et prises en charge dans des endroits appropriées, préparés à l’avance. Moyens d’évacuation, soins médicaux à prodiguer sur place aux blessés ou aux traumatisés psychologiques, aide apportée aux sans abris (vêtements, literie, nourriture,…), sont des segments décisifs dans la chaîne d’intervention pendant les inondations, outre les opérations techniques de pompage des excès d’eau dans les habitations.

A.N.M

Commentaires [1]

  1. lemlem  – 05/10/2016 à 17:19

    – Et parce que les pouvoirs publics n’ont pas pris de disposition pour régler ce problème récurrent, le citoyen, lui, est obligé de prendre dix positions pour aller d’un trottoir à un autre…

    Lem

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    • lemlem dit:

      – Question : Pourquoi nos jeunes s’adonnent-ils à la drogue, c’est un suicide ? – Réponse : Justement, parce qu&r…;

    • lemlem dit:

      – Et parce que les pouvoirs publics n’ont pas pris de disposition pour régler ce problème récurrent, le citoyen, …

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